Références pour maîtriser le concept géographique "habiter"
NB la notion peut être considérée comme inutilement polluée par un verbiage philosophique exagérément contourné (c'est en tout cas l'avis de l'auteur de ces lignes). Il n'est donc pas inutile d'oublier une référence ancienne à l'oeuvre de Maurice le Lannou, aujourd'hui bien oublié qui a proposé dès 1949 le concept d'homme-habitant dans sa Géographie humaine.
Voici ce que ses élèves écrivaient dans leur nécrologie ( Bethemont Jacques, Commerçon Nicole. Introduction à la lecture de Maurice Le Lannou / Introduction to the works of Maurice Le Lannou. In: Revue de géographie de Lyon. Vol. 68 n°4, 1993. La géographie de Maurice Le Lannou. pp. 209-211. url : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geoca_0035-113x_1993_num_68_4_5858 :)
... A terme et à travers la diversité des points de vue, l'idée s'impose d'une nécessaire réévaluation de son apport à la discipline. De fait, La Géographie humaine, parue en 1949 et qui peut être considérée comme la pierre angulaire de son œuvre, a été le plus souvent lue comme une sorte de chant du cygne sur lequel s'achèverait la géographie classique. De même, le concept d'homme-habitant s'est vu attribuer une connotation passéiste, le dit habitant étant relégué, selon l'échelle choisie, dans d'obscures paroisses ou de lointaines provinces : les nouvelles géographies, appliquée, marxiste ou quantitative, allaient changer tout cela. Il est pourtant facile d'établir qu'à travers cette notion d'homme-habitant, c'était la relation existant entre l'homme et l'espace délimitant son enracinement culturel qui était en cause, relation privilégiée qui n'excluait pas d'autres échelles spatiales correspondant à l'ensemble des activités intéressant des individus ou des groupes qui n'étaient pas forcément voués à l'unanimisme culturel. Reste que la dilution scalaire caractéristique de notre époque était analysée par Maurice Le Lannou comme un facteur plus négatif qu'enrichissant. Cette thèse, largement développée dans Le déménagement du territoire, était évidemment difficile à soutenir alors que la mode était au "village planétaire". Elle a en tout cas conforté l'image passéiste de son promoteur.
Ajoutons enfin que pour Le Lannou, la géographie était une, englobant dans une finalité d'analyse régionale, les divers items de la discipline, depuis les composantes du milieu jusqu'à ce qui n'était pas encore la géographie sociale. "Je classerai la géographie", disait-il, "au nombre des sciences morales et politiques, ce qui est dire que, sans contester le bien-fondé de son partage, aux fins de la recherche, en rubriques analytiques mineures, je tiens sa seule justification dans un effort auquel les mots de rassemblement et même de synthèse conviennent imparfaitement. "Compréhension" - en donnant au terme sa valeur étymologique - dirait mieux." Or, l'époque était à la spécialisation, chaque discipline s'agrippant à une branche ou un rameau de l'arbre des sciences comtien : l'agrégation d'histoire-géographie venait à peine d'être scindée en deux concours distincts, que la géographie physique revendiquait son autonomie en se rapprochant des sciences de la terre. Du coup, la position unitaire de la discipline était jugée obsolète, tout comme elle serait plus tard suspecte aux yeux des tenants d'une géographie relevant exclusivement des sciences de l'homme.
Est-ce pour cela qu'une fois remise en cause la vague quantitativiste et matérialiste, un nouveau courant de la pensée géographique, bien qu'axé sur les notions de perception et de paysage, n'a pas fait plus qu'il ne convenait, référence à l'homme-habitant et à son échelle spatiale ? Comment expliquer que de bons auteurs comme Armand Frémont ou Augustin Berque notamment, n'aient pas renoué avec le fil distendu de la géographie humaniste ? L'espace vécu d'Armand Frémont est bien celui de l'homme-habitant et la notion de trajection ou relation entre le paysage- empreinte et le paysage-matrice que propose Augustin Berque, renvoie à la relation définie par Maurice le Lannou entre les groupes humains et les paysages que l'action humaine transforme et produit, cependant qu'il modifie leurs comportements. Seul, Paul Claval soulignera brièvement2 la dimension philosophique d'une oeuvre qui transpose en termes d'espace et de destinée humaine, le thème fondamental de la philosophie existentielle. Pour le reste, il s'inscrivait dans la droite ligne de la géographie française, celle de Vidal de la Blache et de Demangeon.
Il se pourrait donc bien, qu'au tournant des années cinquante, la géographie française n'ait pas saisi l'opportunité d'un débat qui aurait pu être fondamental. Mais la faute n'en incombe-t- elle pas au premier intéressé ? La publication de La Géographie humaine avait suscité de la part de Pierre George3 plus encore qu'une critique, un questionnement : à l'image de l'homme-habitant suspecté à la fois d'immobilisme spatial et d'une certaine passivité face au monde extérieur, ne fallait-il pas substituer l'image dynamique de l'homme producteur et consommateur, ouvert sur le monde et tourné vers l'avenir ? Maurice Le Lannou ne voulut jamais entrer dans un débat que le contexte politique de l'époque tendait à réduire en termes de progrès et de réaction et, pour tout dire, en termes de lutte des classes. Non qu'il craignit la controverse. Plus simplement, il estimait qu'ayant délivré son message, il pouvait l'enrichir, mais n'avait rien à en retrancher, moins encore à en débattre."
2 - P. Claval (1984), Géographie humaine et économique contemporaine, Paris, PUF, p. 91.3-P. George (1950), Réflexion sur la géographie humaine, à propos du livre de M. Le Lannou, Annales de Géographie, T.59, pp. 214-218.
L'enjeu aujourd'hui est l'introduction de la phénoménologie dans la réflexion géographique. A ce propos, l'une des matrices intellectuelles est le livre d'Augustin Berque Ecoumène, (Belin) paru en 1987 et réédité, toujours chez Belin en poche en 2009.
Autre référence, chroniquée dans un article des cafés géo : Habiter, le propre de l’humain. Villes, territoires et philosophie (Thierry Paquot, Michel Lussault et Chris Younès) La Découverte, 2007.
André-Frédéric Hoyaux a publié plusieurs articles sur ce thème :
- dans la revue Espace Géographique :
- Sur le site Cybergeo : European Journal of Geography, Epistémologie, Histoire de la Géographie, Didactique
Les constructions des mondes de l’habitant : Eclairage pragmatique et herméneutique
Dans la même veine, on peut se référer à un article de Rodolphe Dodier
- "Habiter : ce que le périurbain nous apprend"
Mathis Stock a publié deux articles dans la revue EspacesTemps
- "L’habiter comme pratique des lieux géographiques".