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26 août 2010 4 26 /08 /août /2010 20:51

 

Les objectifs du cours introductif de 6e : comment bâtir ce nouveau cours ?

 

a/ Comme toujours, ce programme est le résultat d’un choix. Sa compréhension engage ensuite le professeur à faire ses propres choix.

 

Il s’agit implicitement de « nuancer » la continuité construite depuis la fin du xixe siècle entre « l’Égypte, la Grèce et nous » en centrant la réflexion sur l’Orient au IIIe millénaire av. J.-C., et en donnant au choix à étudier un élément de la civilisation égyptienne ou mésopotamienne. L’insistance étant clairement mise sur « les premiers États », on peut déjà poser les bases de l’étude des Empires dans la suite du programme (avec l’Égypte), ou des cités-États (avec la Mésopotamie).

 

Le professeur doit donc prendre position dans un débat historiographique d’actualité concernant les origines de l’ « Europe », voire de la « civilisation occidentale » (cf. Indiana Jones mêlant joyeusement archéologie, quête du Graal et lutte contre les nazis, ou encore la place considérable des départements d’égyptologie et d’assyriologie dans nos musées et nos cultures nationales). A ce propos, une étude des pyramides joignant histoire et histoire des arts serait tout à fait appropriée... car ce que nous considérons comme relevant des origines de notre civilisation "occidentale" ou "européenne" est un choix qui impose d'une certaine façon d'oublier la problématique "africaine" de l'Egypte ancienne. Après tout, le Nil prend "ses" sources en Afrique sub-saharienne et ne se réduit pas à son delta...

 

Le IIIe millénaire est selon les auteurs le moment d’une « révolution néolithique » ou un moment clé du processus de « néolithisation », en tout état de cause la naissance de la domestication des espèces végétales et animales, de l’État et du fisc, de systèmes d’écriture, de la ville, du long conflit entre sociétés sédentaires et sociétés nomades… voire de la « naissance de Dieu » pour Jean Bottéro en Mésopotamie. Il est à noter que la dimension européenne est ici préférée à une dimension mondiale, car les spécialistes distinguent non pas un, mais au moins trois foyers de néolithisation : la Chine et l’Amérique centrale s’ajoutant au Proche-Orient.

 

Le professeur doit donc prendre position dans un débat historiographique autour de la « révolution néolithique » ou de « néolithisation », qui n’est pas sans rappeler celui noué autour de la « révolution industrielle » / « industrialisation ».

 

La « néolithisation » ou « révolution néolithique »

Grâce aux résultats de nouvelles découvertes archéologiques et aux progrès scientifiques permettant de les analyser, nous devons ramener sans cesse plus loin dans le temps les origines des sociétés humaines. Lorsque les premières civilisations connues grâce à des écritures que l’on a pu déchiffrer sont apparues au Proche–Orient (Mésopotamie et Egypte) vers -3500/-3000, les grands changements dans les façons de travailler (agriculture et élevage, artisanat), d’habiter (ville), de croire (religion), de s’organiser (Etat centralisé)… ont déjà une très longue histoire

Les savants désignent sous le nom de « néolithisation » un très long processus qui a duré près  de 7000 ans qui se caractérise par

  1. processus de sédentarisation (apparition de villages)
  2. domestication des espèces végétales (vers agriculture)
  3. domestication des espèces animales (vers élevage)
  4. des systèmes de croyances (autour des deux figures symboliques de la femme et du taureau)
  5. des rites funéraires pour conserver le corps du défunt et s’en souvenir
  6. des techniques permettant la fabrication d’objets en terre (poterie), en bois, en pierre, en métal….
  7. des sociétés organisées dans lesquelles les hommes se distinguent les uns des autres

 

L’insistance sur les « premières écritures » (aux côtés des « premiers États »), et plus encore l’explication « du rôle de l’écriture » dans cette première leçon tranche avec la distinction précédente entre une leçon consacrée à l’écriture et une leçon consacrée à l’Égypte. Faire mémoriser aux élèves le moment des premières écritures, c’est insister sur le passage de la préhistoire à l’histoire, et plus exactement l’apparition des conditions possibles d’une histoire, aux côtés de l’archéologie et de l’anthropologie pour connaître les sociétés antiques.

Ce débat est absolument passionnant, voir l’article dans les Annales de Jean Guilaine en 2005 qui fait le point sur la question. Pour une approche très claire de ce débat entre « matérialisme » et « culturalisme », comparer La naissance de la civilisation de V.Gordon Childe (1964) et Naissance des divinités, naissance de l’agriculture de Jacques Cauvin (1997)

 

Le professeur doit donc prendre position dans un débat entre anthropologues sur la distinction radicale à faire (ou pas) entre sociétés sans écriture (oralité) et avec écriture (literacy).

Hélas, pratiquement aucun des manuels de 6ème, ni même d’ailleurs le site de la BNF (l’aventure des écritures http://classes.bnf.fr/dossiecr/index.htm) ne s’intéresse à autre chose que les techniques de l’écriture, sans rien dire ou presque des enjeux multiples (et fondamentaux) de cette innovation dans la construction de ces concepts historiques que les élèves verront toute l’année (voir article « notions »). On peut se référer à l’intéressant article d’une anthropologue mettant en perspective les travaux de Jack Goody, dont on pourra lire avec profit La raison graphique. Car le programme est clair, il faut (voir capacités) « Expliquer le rôle de l’écriture ». Par exemple, en matière de religion, on peut distinguer une forme sacrée, licite d'accéder à Dieu par la lecture, la récitation (étymologie de "Coran"), la psalmodie... par rapport à d'autres formes "intermédiaires" (culte des saints, marabouts, divination, magie...) ou "aberrantes" (suicides rituels...). Pour paraphraser un nouvel "enseignement d'exploration" en seconde, on voit bien comment un système d'écriture modifie les "principes fondamentaux de l'économie et de la gestion" : ainsi les premiers exemples d'écriture cunéiforme concernent la gestion des ressources (stocks et flux) du domaine royal. Enfin la naissance de l'Etat est indissociable du développement d'un système d'écriture : connaissance des ressources en hommes (recensement), en biens, en bétail ; transmission des décisions ; conclusion de traités "internationaux".

 

Jack Goody dans La raison graphique distingue l'écriture de

1/ la parole de Dieu

 

2/ la parole de Mammon :

3/ l'Etat le bureau et le dossier :

distinction à faire entre pouvoir central et autres grandes organisations

bureaucratie (contrôle social : recensement, taxation, comptabilité correspondance administrative (usage interne intra étatique, et externe interétatique), traités internationaux, guerre et paix

message et audience, stratification, responsabilité,

4/ la lettre de la loi

formes juridiques du contrat, testaments, preuve, enregistrement des titres (de propriété)

 

Au plan pédagogique, le professeur doit articuler deux dimensions de l’histoire : un questionnement du présent à partir du passé, et du passé à partir du présent, mais sans oublier que les traces étudiées nous évoquent aussi des faits, des comportements irrémédiablement disparus.

Interroger le présent à partir du passé : situer dans un lieu particulier la naissance des premières civilisations au sens « historique » (liée à leur étude grâce à l’écriture), c’est implicitement ouvrir et cadrer la réflexion ultérieure, en construisant la notion de « civilisation », sur les autres civilisations étudiées dans la suite du programme. C’est le même mécanisme pour les autres notions (État, société, religion, art…). Ainsi, la mention de la néolithisation permet-elle de bien fonder la notion de vie en société par le biais de la culture matérielle (agriculture, élevage, division du travail, sédentarité…) ou de l’art, composant essentiel.

Interroger le passé à partir du présent : initier les élèves à ce qui fonde le travail historique, c’est-à-dire reconstruire des sociétés passées à partir de sources, y compris matérielles (ici des « monuments »). Ce point semble être une entrée particulièrement féconde, car il n’est pas besoin d’insister, notamment en France, sur le poids considérable de la « mémoire de l’Égypte ancienne ».

 

 

b/ Quels « vocabulaire et notions » historiques peut-on commence à définir et construire ?

 

Le programme cite explicitement : civilisation, État, écritures, espace de l’Orient ancien (« croissant fertile » ?). On peut y rajouter un vocabulaire lié à :

  • « la culture et les croyances » : mythe/mythologie, religion ;
  • l’organisation politique : cité-État, Empire, aristocratie ;
  • l’organisation sociale : sédentarité, ville, société, division du travail, hiérarchie et domination ;
  • la dynamique du changement historique : insistant sur la dynamique d’ensemble (révolution, invention…) ou au contraire sur la longue durée (transition, évolution…).

 

Voir article "notions"

 

c/ Quel examen critique des sources historiques ?

 

La leçon est l’occasion de distinguer :

  • le travail des archéologues qui s’appuie sur une réflexion à partir de traces matérielles et d’objets, les fouilles et la découverte ;
  • le travail des anthropologues, fondé sur une réflexion à partir d’une comparaison entre ce que nous savons des sociétés anciennes et l’étude de sociétés contemporaines ;
  • le travail des historiens qui font des traces du passé des « sources », en intégrant des sources écrites (ce qui leur permet de distinguer la préhistoire, caractérisée par l’absence de traces écrites).

 

d/ Quelle démarche ?

 

L’objectif est de choisir une entrée qui permet la compréhension globale de la civilisation. Le choix de l’étude d’une pyramide par exemple, doit permettre de lier croyances, organisation politique, et dynamique sociale.

 

 

e/ Quels liens avec d’autres disciplines ?

 

  • La géographie : selon la double logique proposée par G. et P. Pinchemel (La Face de la Terre, A. Colin, 2001), la question oblige à réfléchir à :
  •            - une logique verticale (la construction d’un territoire, d’une appropriation de l’espace destiné aux hommes – que l’on songe à l’arpentage dans la vallée du Nil, à la présence des ancêtres dans les sépultures : rites et monuments funéraires, aux cultures, aux animaux, à l’élevage – et donc aux clôtures –…),

- et à une logique horizontale (constitution de réseaux à courte – relations ville/campagne – et longue distance – échanges fluviaux et maritimes –, à destination commerciale ou militaire – forteresses –) qui entrent chacune en écho avec la problématique « habiter ».

  • L’éducation civique : la réflexion sur l’organisation politique et sociale, la question patrimoniale (que faire des vestiges du passé ?), sont en phase avec la problématique générale du programme.
  • EEDD : la compréhension du moment, dans l’histoire humaine, où les sociétés deviennent créatrices de leur environnement est évidemment fondatrice.
  • Histoire des arts : la question est posée des relations des formes artistiques avec la culture, le pouvoir, la technique et les formes artistiques antérieures.

 

 

f/ Quel récit construire ?

 

La question du « récit » comme situation d’apprentissage mérite réflexion. Son introduction dans les programmes est fondée sur un double constat : d’une part la vision de l’histoire par les élèves est trop souvent mécanique, désincarnée, découragée par l’impression d’une masse de connaissances impossible  à maîtriser ; d’autre part la question fondamentale de l’argumentation (explication et démonstration, à partir de l’étude de documents variés) est mal maîtrisée au niveau du brevet des collèges.

La nécessité de construire un récit pour enseigner l’histoire s’impose donc au professeur dans la construction de son cours. Elle s’impose aussi à l’élève, à la fois pour la maîtrise de la langue et pour la mise en forme d’une argumentation à partir des informations tirées du cours et des documents analysés.

 

La question du récit se pose d’abord au professeur, qui doit organiser son cours selon les questions suivantes :

 

  • Qui parle (archéologue, anthropologue, historien) ou l’ensemble des trois ?
  • Comment s’inscrire dans une durée (repérer le point de retournement, un événement vers 3000 av. J.-C. dans une évolution qui s’étend sur 7 millénaires de 10000 à 3000 av. J.-C.) ?
  • Quelle échelle géographique (multiples sites ou sélection d’un lieu : Nil ou Mésopotamie ?) et quelle échelle historique (privilégier la datation précise permise par quelques lieux, par exemple : sédentarisation précède agriculture, ou un discours plus général sur l’« entrée dans l’histoire ») ?
  • Quelle explication logique donner (« matérialiste » : de l’histoire matérielle aux représentations, ou « idéaliste » : des représentations du monde à l’histoire matérielle) ?
  • Quelle rupture privilégier : sédentarisation (ville), organisation du pouvoir, d’une société inégalitaire (État), une technique particulière (écriture), une culture (d’un ensemble de croyances à l’organisation d’une religion), une économie (prélèvement du surplus)… ?
  • Quel exemple choisir (dans des dynamiques assez voisines, l’exemple de l’Égypte – qui présente l’avantage d’être généralement familier pour les élèves – insistera sur les structures d’une monarchie centralisée, tandis que l’exemple mésopotamien illustrera un réseau de cités-États) ?

 

Afin d’aider l’élève à construire son récit, deux types d’exercices peuvent être envisagés avec le manuel (et les sites associés ou conseillés) comme supports.

 

Premier type : un questionnaire organisé guidant l’élève dans sa lecture de l’ouvrage, lui permettant de retrouver, derrière l’abondance et la qualité des illustrations, des informations déjà abordées en cours.

Ainsi, par exemple pour l’Égypte ancienne : quand s’est déroulée l’histoire de l’Égypte ancienne ? Où s’est-elle déroulée ? Qui a construit les pyramides ? Comment appelle-t-on les signes que les scribes devaient tracer ?

 

Second type : des exercices fondés sur un certain nombre de notions (ou de « concepts ») historiques que l’élève doit construire progressivement et remobiliser dans des contextes historiques différents. Ainsi, pour l’Égypte ancienne, on privilégie la construction de notions de civilisation, d’État et de religion, (voir article  "notions") dont une définition dynamique est donnée. Les élèves doivent rechercher ensuite dans le livre et dans les sites associés les éléments permettant de compléter cette définition.

 

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